Je sirotais tranquillement ma bière à la fraicheur d'une gargote coincée dans une vielle ruelle du port de San Juan. L'odeur mêlée de la bière, de la crasse, du vomi et des fumets de vieux ragouts était plus que pestilentielle. Le gout de la bière en devenait presque insupportable. Mes petits travaux à droit à gauche me rapportaient tout juste assez pour pouvoir dormir sur une paillasse miteuse de cette auberge. Mais au moins, j'avais de quoi manger. Cela faisait plusieurs jours que les navires marchants avaient quitté le port et qu'au large de San Juan une bataille faisait rage. J'avais entendu 50 versions différentes de ce qui se passait mais j'était convaincu que le gouverneur Espagnol refusait de laisser ce comptoir aux français ou pire, aux pirates. Perdu dans mes pensées, je n'avais pas remarqué l'étranger accoudé près de moi. Il me mis un coup de coude qui failli renverser ma bière et s'adressa à moi avec un accent très prononcé.

"Hé le pouilleux, t'en n'a pas marre de crécher dans cette porcherie ?"
L'aubergiste le foudroya du regard mais n'en fit pas plus
"-Hé l'ami, lui répondis je, il me semble que tes manières sont un peu rustre
-J'ai pas le temps d'y mettre les formes, je cherche des minots, des moussaillons, ou n'importe qui ayant un tant soit peu le pied marin et sachant flotter"
-Est ce une proposition ?
-Ca dépend, es tu intéressé ?"


Je n'y avais jamais songé. Embarquer sur un navire n'avait jamais été mon rêve, mais cela avait un certain attrait pour moi. A San Juan, j'avait cru pouvoir me faire un peu d'argent et rencontrer une femme pour fonder une famille, mais en guise d'argent je n'ai eu que des pelures, en guise de femme je n'ai pu parler qu'à des putes ou des souillonnes, et en guise de famille je n'ai trouvé que des cafards et d'autres rampants dont j'ignore le nom.

"-Ecoute gamin, j'ai pas le temps de discutailler, si ca t'intéresse, il y a une bonne solde, un bon équipage et surtout un beau bateau qui t'attendent. Pour l'instant le Phénix est en réparation mais dès qu'on est prêt on repart couler ces salopards. Ce soir on repart, donc si tu veux être des nôtres, t'as intérêt à venir avant qu'on soit complet-Et qui dois je demander ? Quel est le nom de votre capitaine ?
-Tu le sauras bien assez tôt, mais pouilleux comme tu es, ne t'avise pas de demander le capitaine. Demande Guillermo et je m'occuperai de toi. Tu as des affaires à prendre ?
-Quelques bricoles, pourquoi ?
-Parce que ta décision est prise alors ne me fait pas perdre mon temps, monte prendre tes guenilles, paye ton du et viens avec moi."


Sans réfléchir, et un peu excité, ce qui ne m'était pas arrivé depuis bien des années, je m'exécutais.
Sur le trajet des docks, nous discutâmes un peu :

"Guillermo, que vais je devoir faire ?
-Uniquement m'écouter. Au début tu t'occuperas uniquement du nettoyage, de l'approvisionnement, de la cuisine et quelques autres bricoles ingrates. Si tu te montre motivé et lucide, tu pourras peut être passer dans une équipe sur le pont.
-Et la solde ? De combien est elle ? Et quand puis je la toucher ?
-La solde représente un pourcentage de ce que nous gagnons. Au début tu ne toucheras rien. Au bout de plusieurs mois, si tu intègres une équipe de pont tu auras une prime de bienvenue et une solde régulière."


Tout en discutant, nous arrivâmes sur les docks. La surprise fut totale. Je n'avais jamais vu autant de monde affairé sur des navires.
Certains courraient, d'autres dormaient à même le sol, la pluparts travaillaient sur de grosses réparations. Certains navires avaient plus l'air d'épave que de bateaux.

"-Voilà ce qui t'attends, m'annonçât Guillermo, tu embarques sur un navire de guerre espagnol."

Ce que j'avais initialement pris pour des monticules de vivre m'apparut au grand jour : des cadavres étaient empilés, attendant une quelconque issue permettant de dégager de la place.
Un homme petit et trapus vint vers nous en courant :

"Guillermo, le capitaine veut te voir immédiatement
-Très bien Miguel, j'arrive".

Il ajouta, se tournant vers moi :
"Pour le moment tu vas aider à l'embarquement des marchandises, je te retrouverai plus tard. Obéis à ce qu'on te dit, et tais toi."

C'est ainsi que je me retrouvai à bord du navire qu'on appelait Le Phénix de San Juan comme troufion. Je passai toute l'après midi à porter des vivres, des munitions, et d'autres caisses dont le contenu m'était inconnu.
Arrivé au soir, je me posais en proue, contemplant le coucher de soleil. Guillermo, que je n'avais pas entendu arriver me fit sursauter

"Toi, comment tu t'appelles ?
-Je m'appelle Ernesto.
-Bon, on manque de marin donc tu vas directement commencer sur le pont sous mes ordres. Mon équipe s'occupe des voiles : de les ouvrir, de les fermer et de les réparer. En cas d'abordage, nous sommes aussi au combat. Sais tu te servir d'une lame ?
-Euh non, pas du tout
bafouillais, me rendant compte que j'étais à deux doigts de défaillir.
-Ce n'est pas grave tu prendras un gourdin".

Guillermo se retourna et hurla le nom d'un marin non loin de la. Ce dernier accouru au pas de course.
"Raul, ca c'est Ernesto, il est nouveau dans notre équipe"
Le visage de Raul se ferma et il me foudroya du regard
"Je croyait qu'on ne prenait pas de racaille inexpérimentée ? dit il en me crachant chaque mot au visage.
-Du calme, répondit Guillermo en lui posant une main sur l'épaule, on est en manque d'effectif, c'est un ordre du capitaine. Tu vas
montrer à Ernesto son hamac et lui donner un gourdin. Tu lui expliques comment on marche et si tu lui trouves quelque chose pour s'habiller, ce sera toujours mieux que ses guêtres.

-Bien Guillermo. Allez le bleu, suis moi et sois sage".
Je suivi Raul qui me raconta la vie à bord du Phénix, et d'où venait ce nom étrange. J'appris que le navire, au cours des derniers mois avait plusieurs fois été au bord du naufrage, canonné lourdement par des ennemis de l'Espagne, mais qu'à chaque fois il avait pu atteindre San Juan pour être réparé in extremis.

Après avoir mangé une bouilli sans goût à base de haricot et de viande séchée, je passai une nuit agitée. La hamac est certes pratique en terme de place mais si peu confortable. Un voisin de hamac m'a confié qu'il fallait si faire maintenant car en mer c'est bien pire.

La matin, on me réveilla avec un violent coup de pied.
"Hé gros malin, tu crois que t'es ici pour dormir ? Ton équipe est déjà à l'œuvre sur le pont alors dépêche toi d'aller les rejoindre"
Le gros bonhomme m'ayant réveillé, il reparti d'un pas mal assuré, presque boitant.

Mes affaires étaient empilées sous mon hamac. J'enfilai la chemise et le pantalon presque trop large que Raul m'avait donné la veille et je montai sur le pont. Arrivé à l'air libre, je m'aperçus que mon état barbouillé était pour beaucoup au tangage du bateau. La mer n'était pas dans un bon jour, la journée allait être difficile
J'aperçus Guillermo et me précipita pour entendre mes ordres.
"Tiens, voilà la feignasse, tu vas prendre ce porte voix et attendre ici, tu ne nous quitte pas des yeux et si un ordre est à passer tu le cries dans le porte voix, c'est compris ?
-Oui Guillermo
-Et où as tu mis ton gourdin minot ?
-Il est sous mon hamac.
-Tu voix les bateau au loin ?
-Oui
-Il est rempli de marin ne rêvant que de nous égorger, donc tu choisis si tu veux avoir ton gourdin ou pas."


Ne donnant pas de réponse, je filai vers le dortoir. Ayant pris mon arme et remontant, j'entendis des bruits assourdissant. Je reconnus instantanément les canons crachant leur feu et leurs boulets.
Entre deux tirs, j'entendis un sifflement aigu qui augmentait de façon inquiétante. Je couru sur le pont, montant les escaliers 4 à 4.
Arrivé sur le pont, je vis une explosion me projetant sur le côté littéralement éventrer une partie du bastingage.

Un grand homme en veste s'approcha de moi et me dit
"Hé gamin, dépêche toi d'aller dire de ne laisser que la grande voile et de redescendre immédiatement. L'abordage est pour bientôt et je ne veux pas perdre inutilement des hommes".
Je restai interloqué. Pas même un jour que j'étais à bord, imaginant la mer, le grand large et les îles que la mort arrivait sur nous.
"Hé moussaillon, si tu veux que je te botte le cul tu n'as qu'à demander
-Désolé monsieur, j'y vais tout de suite
-Tu m'appelles encore monsieur et je t'embroche, j'exige que tu me donnes du capitaine morveux
-Désolé capitaine".


Je criai les ordres, essayant de couvrir le bruit des canons et des boulets. La majorité des hommes ne prenant pas part à la manœuvre se trouvait sur le flanc opposé du navire, à l’abri des canonnades.
Guillermo redescendit avec son équipe et alla chercher son arme. Devant cette armée organisée, j'eu un doute sur le vaisseau et son équipage et je dus fixer longtemps le pavillon espagnol pour ne pas y voir un drapeau pirate.
Raul vint s'assoir à côté de moi.
"Le pire c'est maintenant, dit-il, l'attente avant le combat. Quoiqu'il arrive, garde ton gourdin, c'est ta seule protection, dans un combat, personne ne va se soucier de toi".

Les manœuvres ne prirent pas loin d'une heure, esquintant à coup de boulets le navire adverse. La capitaine criait ses ordres pour se positionner de la meilleure façon possible, celle qui permet de tirer sans être dans le ligne de tir adverse.
Evidemment, les ennemis tentaient la même stratégie.
Quand les boulets firent place au tir ramé dans les voiles, Raul me dit que l'approche était en cours. Heureusement, nos canonniers purent faire de grands dégâts dans les voiles adverses, nous permettant d'être hors de tir et les mieux placé pour l'abordage.

Je me retournai vers Raul :
"Pourquoi ne le coule-t-on pas puisqu'il est presque immobilisé ?
-Tu vois sa ligne de flottaison ? Elle indique qu'il a les cales pleines, et donc que notre solde est dans ses cales
, me dit-il avec un sourire en coin montrant ses chicots."

Le Phénix vint se placer à l'oblique afin d'aborder sans laisser le temps à l'adversaire de percer notre coque. Je pouvais voir les marins ennemis, armés jusqu'aux dents nous faisant de grands signes obscènes et nous insultant dans une langue inconnue. Lorsqu’ils se préparèrent à l'abordage, le capitaine hurla l'ordre de tirer. Et les canons déversèrent leur mitraille sur l'équipage adverse qui pensait les canons rentrés pour l'abordage.
Raul me dit qu'il s'agissait d'une des stratégies préférées du capitaine Wilou. Le but du jeu maintenant est de ne laisser aucun survivant pour la raconter.
Je pu voir de la chair voler dans un nuage de sang et de tripe. Je vis des marins défigurés, des membres tomber, des hommes estropiés.
La mitraille fit des ravages. Quinze minutes plus tard, le Phénix éperonnait à l'oblique le navire adverse. Le choc me propulsa sur une rambarde et je faillis passer par dessus bord.
Lorsque je repris mes esprits, l'équipage du Phénix était à l'abordage criant et bavant. Des coups de feu retentirent, faisant de gros dégâts dans l'assaut, mais quelques espagnols étaient eux aussi armés.
Malgré la manœuvre qui ne devait laisser qu'une seule voie d'abordage et éviter les débordements, certains ennemis réussirent l'exploit de contourner les premières lignes et coururent vers le pont supérieur. Je vis quelques espagnols se précipiter pour les empêcher d'atteindre le capitaine et l'un d'eux passant près de moi me mis un coup d'épaule.

"Cabrone, qu'est ce que t'attends pour venir nous aider"
Cette phrase me fit un choc, je pris mon gourdin et courût avec eux.
Je pu voir un mouvement du coin de l'œil en courant et réussit à esquiver un coup de hache au dernier moment. Déséquilibré par mon esquive je chutai lourdement et me tête heurta un coin, m'ouvrant l'arcade. Un peu sonné mais soucieux de ne pas me faire décapité, je me relevai à temps pour esquiver un autre assaut. Mon adversaire avait du sang partout et criait comme un fou. Reculant sous ses assauts, le français réussi à m'acculer contre une rambarde, avant de porter son dernier coup, il me fit un sourire sans dent.
Son coup arriva avec une telle puissance que je pu à peine l'éviter en basculant sur le côté. La hache passa à quelques centimètres de mon épaule mais s'enfonça profondément dans le bois. Je pris alors mon gourdin et frappa le français au visage.
Malgré un mouvement de recul, le bout du gourdin le cueilli à la mâchoire dans un craquement obscène. Le français réussi à ne pas tomber et essaya de sortir un poignard de sa ceinture. Mon deuxième coup lui enfonça le crane dans une giclée de sang. Il s'effondra sans vie.
Je passai immédiatement à autre chose, essayant de m'orienter tant bien que mal. J'avais du mal à y voir clair, à moitié sonné, du sang plein le visage. L'escouade avait pu être repoussée. Un voile sombre tomba et je m'évanoui, ne sachant pas si je pourrai me réveiller un jour.

L’obscurité, la douleur, la chaleur. Ce furent les premiers éléments que je pus ressentir. Etait ce donc cela que le trépas ? La panique m’envahit, rester dans l’état une éternité faillit me rendre fou. Une douleur insoutenable surgit au coin de mon œil. Ma conscience s’effaça un instant durant lequel je ne pu que hurler de toutes mes forces. Lorsque le mal se dissipa, je me retrouvai assis sur un lit, dans une chambre spartiate mais propre. Je n’étais donc pas mort.

Ma vision se trouble et je dus faire un gros effort pour ne pas m’évanouir. Je me rallongeai et essaya de me souvenir de ce qui m’était arrivé. Peu à peu je revis l’enrôlement, l’approche, la bataille.
Je restai entre rêves et pensées un long moment je crois. Assez pour que la nuit remplace cette lumière douloureuse. Ce fut l’entrée de Guillermo qui me sorti de mon pseudo coma.


« Hey Ombre, que tal ?
La gorge sèche, la bouche pâteuse, je répondis en cherchant un peu d’eau
-Ca va à peu près, encore dans les vapes, combien de temps que je suis ici ?
Me passant une cruche, Guillermo me sourit
-Pas loin de 36 heures. C’est Raoul qui t’as suturé, il parait que tu n’as pas démérité. Mais bon, un ennemi tué pour 36 heures de sommeil, c’est cher payé.
Guillermo finit sa phrase en partant dans un rire bruyant.
Je pris la peine de boire, au début cela m’a fait l’effet d’avaler du sable, puis la gêne passa.
-Suis-je toujours un matelot du Phenix ? Demandais je assez inquiet de perdre si tôt un espoir.
-Tu le resteras jusqu’à ta mort où que le capitaine le décide. »
Je compris tout de suite l’allusion, un départ non voulu par le capitaine devait certainement se finir par la mort …
Guillermo poursuivit :
« Bon descend manger un morceau boire un coup et repose toi, demain tu viendras nous aider pour les réparations, le débarquement et la vente des marchandises. On a eu un très joli butin ».


C’est ainsi que ma petite vie de marin commença en grandes pompes. Je découvris des ports miteux où la racaille et les pirates mènent la danse, des villes somptueuses reflétant la grandeur de l’Espagne, des capitaines extraordinaires et d’autres renégats sans foi ni loi. Je pris assez rapidement conscience de mon rôle sur le navire, mais surtout pour l’Espagne. Je découvris ce fabuleux pays, et on m’expliqua mon histoire que ma mère avait toujours refusé de me raconter. Mon père n’ayant pas survécu aux maladies du voyage (selon la version de ma mère sur laquelle j’avais des doutes) je n’avais qu’un seul son de cloche. Comme on dit à San Juan, je fais partis des premiers espagnols de San Juan pur souche.
Apparemment le voyage depuis l’Espagne était si horrible que ma mère m’avait toujours interdit de m’approcher d’un quelconque bateau. Mais finalement, il est impossible d’y échapper quand on est à San Juan. Elle s’est rabibochée avec un pirate des plus violents qui me battait à longueur de journée quand il ne frappait pas ma mère. Il racontait des histoires à dormir debout sur des chasses au trésor et autres faits de piraterie, mais il ne trompait personne. Il ne faisait que boire et de temps en temps pêcher sur son vieux rafiot pourri. Un soir couvert d’ecchymoses, j’ai voulu le tuer mais ma mère s’est interposée. J’ai donc décidé d’être orphelin et d’aller tenter ma chance à la ville. Je préfère le statu de pouilleux plutôt que d’être enterré à moitié vivant dans le jardin.
Le Phénix et son capitaine, dénommé Wilou, avait changé ma vie. Mes yeux s’emplissaient de rêves au fil des voyages.
Le capitaine Wilou … étrange nom pour un espagnol, mais sur le Phénix, on raconte que personne ne connait son vrai nom. On dit que sa tête est mise à prix en Espagne et on raconte des histoires rocambolesques, un coup assassin impitoyable, un coup un vrai seigneur tombé dans une machination. Toujours est-il qu’aujourd’hui, c’est le capitaine Wilou.
J’ai rencontré beaucoup d’autres marins, de temps en temps le Phénix accoste à côté de navires alliés battant le même pavillon : un calamar géant.
Le capitaine Wilou fait partie d’une confrérie servant les intérêts de l’Espagne et œuvre en priorité pour celle-ci. En échange, les capitaines se soutiennent entre eux.
Les mers des Caraïbes sont dangereuses, et les alliés sont précieux.

Nous avons accosté il y a peu à El Tigre, et le contre maitre Guillermo m’a expliqué que des consignes avaient été laissée pour le capitaine Wilou.
Il semblerait que le comptoir espagnol de Puntarenas serait aux mains de pirates qui font régner la terreur. Le grand Octopus Rymkaya, patron charismatique de l’Hermandad del Calamar serait déjà sur place et risquerait de couler par le fond s’il n’obtient aucun soutien.
Dès le navire préparé, nous partirons au combat contre ces satannés pirates !!!


Nous naviguions depuis quelques jours, sachant plus ou moins vers quoi nous allions. Le vent nous était favorable, nous faisant gagner de précieuses heures sur nos prévisions.
J’arrivais à dormir plus tranquillement, m’habituant aux sans cesse tangages du navire. Finalement, le hamac était une bien belle invention pour diminuer cette impression de mouvement.
J’avais sympathisé avec Miguel, qui, à la demande de Guillermo m’apprenait les bases du combat à l’épée ou au sabre. J’avais déjà appris la première de toutes les règles du combat : il n’y a pas de règle. Si tu peux égorger un adversaire de dos sans risque, préfère cette solution, il n’y a aucun honneur dans la mort. Chacun y allait de son avis personnel, mais au final c’était juste un moyen de se donner bonne conscience, car seuls les plus rusé vivaient longtemps. L’équipage du Phénix était souvent renouvelé mais il restait un noyau dur de vétérans qui connaissaient les dangers à bord et savaient être prudents. C’est auprès d’eux que j’essayais d’en apprendre le plus possible. Je m’entrainais avec Miguel sur des situations de feintes, parades et ripostes lorsque j’entendis la vigie :

« Navires en vue, navires en vue. Nord-Nord-Ouest.
-Bien reçu, cria le matelot chargé de la coordination pour confirmer la bonne réception du message »


Il partit aussitôt avertir le capitaine et les contres maitres concernés. Toute oisiveté quitta instantanément le bateau et tous allèrent se poster à leur poste.
J’étais affecté depuis El Tigre à la manipulation des grandes voiles. Je me dépêchai donc de monter à mon poste autant pour avoir les navires en vue que pour être fin prêt. Le vent soufflait fort et malgré mon empressement, je réalisais tous mes gestes avec la plus grande des prudences, ainsi qu’on me l’avait appris. Un marin trop sûr de lui ne le restait pas longtemps, et en général, la mer ne nous laissait pas de deuxième chance.
Une fois en place, je pu mettre mes mains en visière pour voir l’état de la situation. A mon grand désarroi, je ne pouvais comprendre ce qu’il se passait. Je voyais des navires battant le pavillon espagnol, d’autre le pavillon français, et enfin des pirates. Je fus vraiment estomaqué par la taille phénoménale de certains des navires. Chaque bateau naviguait selon des trajectoires dont je ne comprenais pas le but.
« Tout au vent direction Nord Ouest !!! »

L’ordre coupa net à toutes mes rêveries et je commençai à manœuvrer la voilure de concert avec le reste de l’équipe. L’essentiel de notre travail consistait à prendre soin de la voilure dans toutes les situations : la sortir, la ranger, la réparer, prendre garde à ce qu’elle ne s’emmêle pas, … et ce par tous les temps. Tirant des cordes, défaisant des nœuds, démêlant le tissu, les minutes qui suivirent, je n’eu pas le temps de voir ce que nous faisions. Les ordres fusaient et il était difficile d’aller aussi vite que demandé, mais j’y arrivai.

« A babord !
-Rangez la grand voile !
-Canonnez !
-Tribord !
-Rapport Vigie !
-Sortez la grand voile !
-Au près !
-Au vent ! »


Après une bonne heure de manœuvre, je pu enfin voir de quoi il en retournait exactement. Je laissai échapper un cri de surprise. L’odeur de souffre emplissait mes poumons, la fumée des feux nourris masquait une bonne partie de la visibilité. Nous avions manœuvré de façon à arriver sur le quart arrière d’un navire pirate, un galion me semble-t-il. En passant ainsi, nous avions pu tirer quelques boulets sans nous exposer. Mais le galion ne comptait pas en rester là et faisait une manœuvre lui permettant de se mettre de flan et ainsi de nous avoir en ligne de mire.
« Accrochez vous, hurla Raoul. »
Il pu à peine finir sa phrase qu’un tonnerre assourdissant explosa. Les boulets sifflaient à nos oreilles, déchirant ca et là la voilure.
« Repliez la voilure !!! »
L’ordre le plus dangereux venait de tomber. Replier la voilure sous les tirs nourris de boulets. Chacun s’exécuta et tira les cordages manœuvra la voilure essayant de ne pas agrandir les trous existant. Un sifflement aigu se fit entendre, de plus en plus fort et vint s’écraser sur l’extrémité de la poutre sur laquelle j’étais à califourchon. J’eu à peine le temps de m’agripper à une corde qu’une partie de la poutre explosa dans un fracas assourdissant. Des myriades d’échardes vinrent se planter dans ma chair. La poutre commença à obliquer dangereusement, puis céda, ne laissant que le vide sous mes pieds.
Je tins bon la corde mais la sueur sur mes mains me faisait glisser. Le frottement me brulait les mains, pourtant je tins bon. La corde opéra un mouvement de balancier qui me fit valser vers le mat. Je m’écrasai de plein fouet sur ce dernier. Le choc me fit lâcher prise. Heureusement que j’étais déjà parvenu assez bas pour que le chute ne me soit pas fatale. Pourtant l’atterrissage fut violent et je crus un instant m’être brisé les jambes. Mon corps n’était que douleur, ma chemise était ensanglantée.
La situation s’avérait critique. Les ordres continuaient à fuser. Je voyais des camarades chuter, les plus chanceux atterrissaient dans la mer. Les autres restaient inertes sur le pont, morts pour la pluparts.
La
manœuvre entreprise par le galion pour nous couler ou nous aborder avait laissait le champ libre aux 2 navires espagnols. Ceux-ci se mirent en position pour tirer. La tartane française restait à une distance de sûreté et ne faisait que du harcèlement, s’approchant derrière le Phénix pour tirer quelques salves puis repartant. Mes derniers espoirs s’envolèrent lorsque je vis l’autre navire pirate, une frégate, comme nous, se mettre en position sur notre bâbord, à l’opposé du galion ennemi pour nous canonner. Nos chances de nous en sortir s’amenuisaient.
Pendant la bataille de l’artillerie, le vent avait tourné, il jouait en notre faveur mais allait ce suffire ? La tartane avait vent de face et ne pouvait prendre le risque de remonter le vent pour nous harceler.
Je vis le capitaine Wilou sur le pont, il criait ses ordres sans discontinuer :

« Que toutes les équipes des voiles abandonnent leur poste, la priorité est de ne pas couler, tout le monde répare au mieux. Les artilleurs se divisent, priorité aux tirs à tribord. Que des guetteurs surveillent les manœuvres d’abordage. Une équipe se met à l’abri et ne sors qu’en cas d’abordage. Si on tente de nous aborder, on reste sur le Phénix et on repousse l’envahisseur, je ne veux voir personne sur le bateau ennemi, … »

Je ne pris pas le temps d’écouter la suite, chaque contre maitre était déjà à l’organisation des équipes. Je descendis dans la cale avec Raoul qui saignait du front et Miguel qui boitait.
Nous avions de l’eau aux genoux et les voies d’eau étaient nombreuses. Guillermo arriva, donnant ces ordres :
« Priorité aux voies d’eau à bâbord, prenez tout ce que vous pouvez pour réparer ca, il faut tenir »
Nous pataugions, clouant des planches tant bien que mal pour limiter les dégâts. Des rats nageaient ca et là, essayant de se mettre au sec. Des vivres flottaient un peu partout et des relents de rhum nous faisaient tourner la tête. Plusieurs fois j’eu du mal à ne pas m’évanouir, la notion du temps avait disparu, cela devait faire plusieurs heures que nous œuvrions, priant pour ne pas être percuté de plein fouet par un boulet. Plusieurs fois la coque fût touchée et à chaque fois tout le monde sursautait au craquement immense que faisait l’impact. Nous continuâmes ainsi, parant au plus urgent, certains cherchant du bois et des clous, d’autres maniant maillet, et encore d’autres essayant de tenir les planches contre la paroi, luttant contre la force de l’eau. La majeure partie de l’équipage était attelée à cette tâche. Heureusement pour nous, les adversaires concentrèrent rapidement leurs tirs sur la voilure, ce qui nous laissât œuvrer sans trop de risques.
Tout à coup, un contre maitre débarqua dans notre cale, le visage noir de poudre :
« Quittez vos postes et prenez vos armes, ils préparent un abordage et notre gréement est complètement détruit, on est immobilisé.
-Oh non soupira Guillermo, ils sont beaucoup plus nombreux que nous, il va falloir tenir bon …
-Allons voir par quel côté ils arrivent et préparons leur un comité d’accueil. N’oubliez pas que nous avons trois canons légers sur le pont. Le capitaine les a achetés à El Tigre pour ce genre d’éventualité
, ajouta Raoul en montant les barreaux de l’échelle deux à deux. »

Une fois sur le pont, le capitaine donnait les ordres, plaçant les petits canons face à bâbord. Je pu voir du côté bâbord que le galion était en feu. Les 2 navires espagnols s’était placés de façon à tirer sans relâche sur la coque. Je pouvais voir les pirates courir et plonger, certains en feu, d’autres en sang. Le galion s’enfonçait peu à peu, sombrant de côté. Cette vision me mit du baume au cœur et me redonna espoir. Si nous réussissons à repousser l’abordage, le galion et l’immense vaisseau trois ponts espagnol pourront nous prêter main forte.
Le bruit des canons avait cessé, plus de sifflement, plus d’explosion. Le silence était pesant. Je pris conscience que le temps avait tourné à l’orage, et que la mer devenait mauvaise. La pluie lavait le pont principal du sang qui le recouvrait. La frégate approchait au grès des vagues, tantôt sur une lèvre, au dessus de nous, tantôt dans un creux, au dessous. L’abordage allait être sanglant, et dangereux. Chaque marin attendait, à son poste. J’avais récupéré un sabre sur un cadavre d’un matelot avec qui j’avais discuté jusque tard dans la nuit la veille. Mon cœur se serra.
Avec le mauvais temps, je vis que le soleil se couchait à l’horizon. Je pris conscience que cela faisait au moins 5 heures que les hostilités avaient débuté. Je me sentis las, mes muscles étaient douloureux, mes blessures me tiraillaient, mon dos me faisait souffrir. Le capitaine s’approcha de moi :
« Ola mon garçon, reprends toi, on voit la défaite dans ton regard.
-Mon capitaine, cela fait des heures que nous combattons, je n’en peux plus.
-Matelot, si je devais combattre des jours durant pour vivre, je le ferais. Si tu ne tiens pas à la vie tu peux sauter par-dessus bord tout de suite.
Je baissais le regard, honteux et humilié.
-Ecoute petit, bois une gorgée, et pense aux plages de Puntarenas, aux jolies filles et au soleil. Si nous réussissons à nous en sortir, c’est ce qui nous attend pour un bon moment.

Je pris la bouteille que le capitaine me tendait et bu une gorgée. Le rhum me brûla la gorge et je sentis le liquide s’écouler dans mon gosier jusque dans mon estomac, la chaleur rayonner de l’intérieur et du lutter pour ne pas tousser. Néanmoins, l’attention du capitaine et le rhum me revigorèrent un petit peu, et l’idée des filles de Puntarenas finit de me redonner le moral.
-Merci capitaine, ca va mieux.
-Vends ta peau chèrement petit.
-Je ne compte pas la vendre, j’en ai trop besoin.
Dis-je avec un sourire en coin.
-Bien dit matelot, garde la bouteille et fais la passer aux autres. Va te poster avec le reste de ton équipe derrière le petit canon.

Le capitaine se retourna vers un contre maitre :
Francis, tu donnes l’ordre de tirer quand il y aura un maximum de pirates sur le pont, et pas avant sinon je t’embroche.
-Bien mon capitaine.
-Chaque canon ne tire qu’une seule fois, et je veux qu’ils aient la gueule pleine de mitraille. Dès que le coup est parti, je veux qu’ils soient taillés en pièce. »


Regagnant mon poste, je ne pu entendre la fin de la conversation. La pluie continuait de tomber de plus en plus fort. Les canons étaient tenus tant bien que mal en place, le pont glissant rendait la chose difficile.

Lorsque la frégate pirate s’approcha suffisamment, nous pûmes voir nos adversaires. Cela me fit froid dans le dos. Ils étaient armés jusqu’aux dents, certains avaient même des pistolets.
La mer aidant, la fregate arriva rapidement de côté. Les marins lancèrent leurs grappins sur le pont. Personne sur le Phénix ne tenta de les décrocher, comme l’avait ordonné Guillermo, ce qui facilita la manœuvre des pirates. Lorsque les deux navires entrèrent en contact, le bois se tordit et explosa, la balustrade céda, emportant une partie du pont. Le choc se répercuta sur tout le Phénix faisant craquer tout le navire. Une partie de l’équipage perdit l’équilibre et tomba comme un seul homme. Mais une fois le choc passé, le Phénix et le navire pirate ne faisaient plus qu’un.
Le tangage devenait très dangereux. Les pirates purent s’amarrer au Phénix et sauter sur le pont, hurlant et vociférant. Ils étaient plus nombreux que je ne l’avais pensé. Nous étions tous prêt, l’arme à la main, attendant le signal. Le canonnier qui devait mettre le feu à la mèche se retourna vers le contre maitre Francis :
« Francis, l’eau à mouillé la mèche, le canon ne tirera pas.
Francis resta silencieux un moment.
-Dès que les autres canons ont tiré, on fonce ».

Le capitaine, sur le pont supérieur, leva le bras puis le baissa. Je vis le canon à ma gauche cracher la mitraille sur les pirates, éventrant les premiers, sectionnant les membres des seconds, perçant le cœur des troisièmes. Une fraction de seconde suffit à faire un carnage parmi les assaillants, du moins ceux qui attaquaient les canons en état de marche.

Dans un mouvement de foule, je partis à l’assaut. Les coups pleuvaient, les lames s’entrechoquaient, lacérant parfois, un morceau de chair, déchirant une chemise. La mêlée faisait rage attendant un événement qui ferait basculer la bataille d’un côté ou de l’autre. J’étais aux prises avec un ennemi duquel je n’arrivais pas à me débarrasser. Je parais plus que je ne n’attaquais. Le pirate était sacrément bien entrainé et je me demandais si j’allais réussir à m’en dépêtrer. Je ne cessais de reculer, ce qui ouvrit une brèche dans nos lignes. Chaque fois que je tentais une attaque, il parait ou esquivait et me blessait tantôt au bras, tantôt à la jambe en contre attaquant. Les coups pleuvaient et j’arrivais à peine à suivre le rythme. Le pirate attaquât de taille et je levais mon sabre pour parer la force du coup. Les lames s’entrechoquèrent. Puis l’ennemi fit glisser son épée sur la lame de mon sabre pour enchainer le mouvement dans un coup d’estoc au ventre. Je fus trop lent et ne pu amorcer le mouvement qui m’aurait permis d’éloigner la pointe de son épée de mes entrailles. Mais au moment de mettre de la force dans son coup perforant, il s’immobilisa, les yeux grands ouverts.
« Dépêche toi Ernesto il faut éviter de se faire déborder !!! » me hurla Miguel.
Je vis le pirate s’écrouler, un hachoir enfoncé dans le crâne. Ne prenant pas le temps d’essayer de comprendre, je couru et dépassai Miguel, toujours boitant.
J’étais dégoulinant de sang et trempé jusqu’aux os. Je pu voir que les autres fronts nous étaient favorables. Il fallait les repousser. Sur ma gauche, un pirate sorti de sa ceinture un pistolet et le pointa vers le canonnier. Sans réfléchir, j’abatis mon sabre de toutes mes forces sur son avant bras. La lame pénétra comme dans du beurre dans le biceps et arrêta sa course un peu après avoir rencontré l’os. Le pirate, surpris, hurla. Retirant ma lame, je lui coupai le caquet sur ma seconde attaque. Mon sabre lui trancha profondément la gorge, manquant la décapitation de peu. Son cri se transforma en une sorte de gargouillis et il s’effondra dans un râle.
La bataille faisait toujours rage, on se battait partout. J’essayai tant bien que mal d’être aux aguets pour ne pas prendre un coup perdu ou pire, un coup en traitre. Il n’y a pas de place pour l’honneur dans un abordage. Je ramassai le pistolet du pirate mort et me relançai dans la mêlée. Ne voyant pas d’adversaire libre, je donnai des coups de sabre ca et là, de préférence par derrière et dans le cou. Je tranchai la jugulaire d’un troisième ennemi lorsque je vis à plusieurs mètres de là une scène invraisemblable. Un monstre de muscle faisait tournoyer une masse énorme et l’abattait sur des crânes espagnols, les faisant littéralement exploser. Un matelot essaya de parer le coup, mais la force de titan de la masse brisa la lame et vint s’enfoncer dans la pommette. Le marin s’effondra sur le pont, le corps pris de convulsions morbides, la moitié du visage ayant disparu.
Ce géant avait crée un mouvement de panique chez les marins du Phénix qui commençaient à se replier. Il se tourna vers moi et s’avança :
« Hé gringalet viens là que je t’explose la cervelle »
Je pris le pistolet de ma ceinture et tira pour le dégager. Le pirates compris tout de suite et s’élança vers moi en courant. Le pistolet était coincé et je n’arrivais pas à le sortir. Cédant à la panique je commençais à tirer comme un forcené. Le pirate arrivait vite
5 mètres
Je réussi à dégager le chien, je lâche mon sabre et prend le pistolet à deux mains pour avoir plus de force.
4 mètres
Le canon s’accroche, mais le morceau de tissus cède sous la frénésie qui m’anime.
3 mètres
Je tire sur le chien et vise la tête
2 mètres
Le géant a le bras levé, son énorme masse à l’apogée de sa course d’élan.

Je pressai la détente en visant la tête, espérant que la poudre ne soit pas trop humide. Le coup partit et toucha le géant à la tempe, emportant une partie du crâne. Le pirate resta immobile quelques secondes, étonné, le bras en l’air, le regard vitreux.
Je baissai mon arme vide, soulagé, quand je vis le regard du pirate reprendre une sorte de conscience. Comme au ralenti, je pu voir son bras s’abattre avec la force d’un ours sur moi. Je me jetai de côté pour esquiver. La masse me frôla l’épaule et alla se ficher dans le pont en faisant un trou dans le bois. Immédiatement le géant voulu désincruster son arme mais un espagnol lui asséna un coup de taille à la hache sur les cervicales, lui tranchant la tête en un coup net et précis.
La chute du géant fit changer la bataille, les pirates se replièrent en débandade, détachèrent les grappins du Phénix et remontèrent le plus vite possible sur leur navire. Certains matelots espagnols entreprirent de les suivre mais le capitaine hurla :
« Que personne n’aborde ! Tout le monde reste sur le Phénix ».
Ainsi, le bateau pirate pu s’éloigner. La pluie battait le pont, le lavant du sang et des entrailles éparpillées. L’équipage se mit à l’œuvre pour jeter les cadavres par-dessus bord. La nuit tombait et nous commencions à le plus voir grand-chose.
Nous passèrent une bonne partie de la nuit à réparer la coque, éclairés chichement à la lanterne. Les blessés étaient soignés tant bien que mal et des rotations d’équipes étaient organisées pour que chacun puisse se reposer un peu. Au lever du jour, nous fûmes réveillés par les coups de canons. Tout le monde se précipita, certains boitant, d’autres se tenant un bras, à son poste. Mais les canons qui crachaient le feu étaient espagnols. Le galion et le vaisseau trois ponts mirent moins d’une heure à couler la frégate pirate. De plus, la tartane, au sud était aux prises avec d’autres arrivants espagnols qui la poussèrent à prendre la fuite.
La mer était jonchée de débris, de cadavres et de bois. Les oiseaux marins se disputaient les chairs et viscères avec les poissons. Le calme était revenu, mais jusqu’à quand ? La nouvelle était tombée, Puntarenas devait être espagnole. Nous ne pouvions pas nous permettre de retourner à El Tigre pour réparer et soigner les blessés. Le capitaine avait donné des ordres pour que les réparations soient finies au plus tôt. Aucun répis ni repos. Sur les 240 hommes de l’équipage, 40 avaient péris dans l’assaut lui-même ou sur blessures et au moins autant étaient diminués par de graves blessures. Je m’en étais plutôt bien sortit, j’avais des écorchures superficielles un peu partout, à certains endroits du bois s’était lié à la chair, j’avais de nombreuses ecchymoses, le dos douloureux, et deux grosses entailles qui avaient nécessité des sutures. J’étais affecté à la couture pour réparer la voile, pendant que d’autres installaient la voilure de secours. Certains réparaient les pièces d’artillerie, d’autres finissaient de réparer la coque, une partie de l’équipage rangeait le chaos dans les marchandises et les vivres des cales, le reste était soit en quart de repos, soit en nettoyage et rafistolage du pont et des poutres endommagées. Je pu prendre du repos au milieu de la journée.
Lorsque
je me réveillai, nous étions déjà en route vers Puntarenas, nous naviguions en formation avec les navires espagnols nous ayant rejoins et nous avions en vue au loin, le chenal de Puntarenas. Miguel vint me rejoindre pour le repas.
« Alors petit, t’as gouté aux sutures
-Oui et j’avoue que je m’en serai bien. »
Je marquai une pause et regarda Miguel dans les yeux.
« Miguel, merci de m’avoir sauvé
-Ne me remercie pas, ca ne sert à rien. Je t’ai sauvé, tu en as sauvé, tout le monde à sauvé quelqu’un.
-Merci quand même.
-Merci à toi d’avoir abattu ce monstre pirate, tu as fait pencher l’abordage en notre faveur
-J’ai plus sauvé ma vie que joué tactique je dois t’avouer. Comment va ta jambe ?
-Bah j’en sais trop rien, disons que c’est une vilaine coupure, elle me fait mal, mais elle guérira si Dieu le veut.
-Je prierai pour qu’elle guérisse. »
Guillermo s’approcha de nous et mangea un morceau de viande séchée, qui ne devait plus trop l’être.
« Guillermo, l’interpelai-je, à Puntarenas, ca va être pareil ?
-Ne t’inquiète pas, répondit-il, nous nous contenterons de tirer nos réserves de boulets sur les murailles. Une fois les murailles en dentelle, nous laisserons le galion ou le trois ponts mener l’assaut.
-Oui mais si des navires sortent pour nous intercepter ?
-Tu as encore beaucoup à apprendre Ernesto, la stratégie maritime ne consiste pas à savoir naviguer et combattre, il faut aussi avoir les bonnes informations. Il n’y a aucun navire qui puisse nous menacer à Puntarenas. »


Je laissai échapper un soupir de soulagement qui fit rire mes compagnons à gorge déployée.
Le Phénix fendait la mer et se dirigeait droit sur le chenal de Puntarenas. Nous arriverions au petit matin.